Merci à toi, Gwendoline, d’avoir accepté cette interview. Toi, qui préfères observer qu’être sous les feux de la rampe : «Je suis faite pour être derrière la caméra, pas devant» nous as tu avoué en début d’entretien! Et pourtant ton parcours est tellement inspirant, toi qui fus la première “cameraman femme” en Amérique latine, qu’il aurait été dommage de ne pas le partager avec nous.
Tout d’abord Gwendoline, donne nous ton secret, toi qui gères à la fois ton travail, tes filles, ton amoureux, ta famille, tes ami.es, tes voyages…
Dis-nous comment tu fais pour réussir à tout gérer?
«Mon secret, hé bien, même si je suis une femme forte et indépendante, je vais peut-être vous décevoir en vous disant que j’aurais eu du mal à réaliser tout cela sans l’amour et le soutien de mon mari, Duke. C’est mon plus grand supporter! Il m’a toujours soutenu à sa manière. Il m’a permis de beaucoup progresser et de toujours repousser mes limites. Il est super organisé et participe complètement dans la gestion de notre planning quotidien.
Après je ne vais pas mentir, il y a eu des moments où c’était plus compliqué. Par exemple, il a toujours voyagé plus que moi, donc quand il n’était pas là pour gérer le quotidien je devais remettre toutes mes casquettes, assurer à la fois le rôle de maman, d’amie, de caméraman et ne rien oublier. Je devais gérer les nounous, l’organisation des tournages, trouver des assistants et jongler avec les horaires compliqués, d’autant plus que mon travail est quand même assez physique. Transporter, parfois quasi seule, tout mon matériel de son, d’éclairage et puis ma grosse caméra épaule, c’est très lourd. Je me suis sentie défavorisée par le passé, je trouvais injuste qu’il aille bosser en première classe et que moi j’ai tout à gérer. C’était vraiment compliqué quand nos filles étaient petites.
Je vais d’ailleurs vous raconter une anecdote; seulement deux semaines après la naissance de ma première fille, Morgan, une cliente m’appelle, me félicite, puis me demande si je peux venir sur un tournage. Ne pouvant refuser cette opportunité, j’y suis allée bien sûr. Le tournage n’a duré que 2 heures et heureusement, car je n’avais pas eu d’autre choix que d’emmener Morgan avec moi!
Tout s’est très bien passé, mais c’est là que j’ai eu une prise de conscience: ma vie ne serait plus jamais la même et ma charge mentale était devenue immense.
Même si mon mari était toujours présent pour moi, il ne voyait pas réellement la complexité de l’organisation famille-travail. Il n’a jamais eu non plus à ressentir la frustration d’avoir l’impression d’abandonner un métier, de devoir décliner des missions importantes à ses yeux.
Quand on a commencé il n’y avait pas autant de stress à Miami mais les choses se sont accélérées et pendant longtemps j’ai été frustrée de voir tous mes collègues masculins monter les échelons, gagner en expérience, développer leur business pendant que moi je n’avais plus cette possibilité, car je ne pouvais plus être aussi disponible. J’ai stagné pendant plusieurs années au niveau où j’étais. C’était le plus frustrant à l’époque.»
Et aujourd’hui, comment ça se passe?
«Maintenant ça va mieux, les filles sont plus grandes, elles ont 10 et 8 ans et le boulot a changé depuis ces dernières années. Et puis avec le temps et davantage d’échanges entre Duke et moi, notre système s’est amélioré. Depuis que nous habitons en Arizona, je ne travaille plus du tout localement, donc si je travaille, c’est que je voyage.
Dans ce cas, une nounou vient pour 3 jours. Si jamais je pars pour plus longtemps, c’est ma belle mère qui prend la relève et qui emmène les filles à l’école ou faire leurs activités. Elle est formidable, heureusement que nous avons son soutien.
Au final, j’arrive à gérer, comme tout le monde je pense, en faisant des compromis mais aussi en prenant soin de moi. Je fais au mieux pour que tout le monde soit content. Voir mes filles heureuses est ce qui compte le plus pour moi.»
Parlons maintenant de ton métier de caméraman qui, comme son nom l’indique, est ou en tous cas a été plutôt insolite pour une femme.
Comment as-tu commencé et que fais-tu à présent?
«J’ai commencé par faire 3 ans d’études de cinéma et 2 ans d’anthropologie avec pour objectif de réaliser des documentaires. Avant de commencer mes études, je voulais travailler dans une ONG, mes parents m’en ont dissuadé puis j’ai aussi compris en faisant des salons étudiants qu’ il valait effectivement mieux avoir un métier avant de pouvoir travailler dans l’humanitaire.
Comme j’avais envie d’observer d’autres façons de vivre et d’apprendre, j’ai choisi le métier de caméraman. Mais finalement, je n’ai encore jamais fait de documentaires (rires). Ceci dit, j’arrive quand même à retirer cette satisfaction de rencontrer des gens et d’apprendre d’eux, même en filmant du sport et des news.
Je filme beaucoup de sport américain et pourtant je n’y connais pas grand chose. Mon boulot, c’est surtout de filmer “ce qu’il se passe autour des compétitions”: des villes différentes, des ambiances, des supporters de tout niveau et de tout milieu… et ce, du tennis à l’Indianapolis 500. Au final je m’y retrouve bien, toute expérience est intéressante.»
Quel en est l’aspect qui te plaît le plus?
«Ce que je préfère dans mon métier, c’est la chance qu’il me donne d’apprendre constamment, de m’enrichir personnellement. Puisque chaque tournage est différent, je découvre à chaque fois d’autres cultures et façons de vivre. Chaque mission est un réel épanouissement.
Ce qui me plait également, c’est de faire partie de ces femmes qui font “un métier d’homme”, qui excellent dans un milieu de travail majoritairement masculin. Je suis très fière de cela. De plus, une caméra, ça donne un pouvoir… tout le monde veut être devant, donc les gens te respectent – tout du moins dans le domaine du sport.»
Si tu pouvais changer une seule chose à ton métier, ce serait quoi?
«J’aimerais faire davantage de documentaires, voyager de plus en plus loin et rencontrer encore plus de monde. Je pense que je n’en ai pas encore vu assez! J’adore les voyages et les nouvelles expériences, c’est vraiment ma façon de grandir.
Le format documentaire me permettrait de suivre des personnes sur une durée plus longue qu’un reportage, il me donnerait l’opportunité de vraiment m’immerger dans leur culture. En plus, les documentaires sont à la mode, ça serait le moment parfait d’essayer de percer là dedans ou en tout cas commencer… (rires).»
À quel moment de ta vie as-tu su que tu voulais devenir cameraman?
«J’ai toujours aimé les images et en particulier la photographie, et j’ai aussi toujours adoré les voyages. Le métier de cameraman est une super combinaison des deux! Je faisais partie du club photo au lycée, et il y a aussi un livre en particulier que j’ai lu à l’âge de 11 ans, et qui m’a beaucoup inspiré: “L’heure du Tigre”, de Jack-Alain Léger. C’est l’histoire d’un riche héritier américain qui part au Vietnam pour documenter les horreurs de la guerre et où, entre deux péripéties, il apprend beaucoup sur lui-même. Quand je l’ai lu, j’étais dans un pensionnat de jeunes filles, clairement déprimée, et ce livre m’a ouvert l’esprit sur une autre façon d’apprendre sur moi-même, notamment grâce aux autres.
Arrivée en seconde générale, j’avais encore des problèmes à l’école qui s’en sont suivis par une discussion avec la conseillère d’orientation pour savoir si je pouvais plutôt me réorienter vers un BTS dans tourisme ou hôtellerie.. Et bien suite à cet entretien, j’ai découvert que j’étais dyslexique, ce qui était probablement la cause me freinant dans ma scolarité.
J’ai malgré tout continué d’aller en cours et, petit à petit, j’ai développé l’envie de choisir un métier où je n’aurais pas besoin d’écrire et où je n’aurais pas la pression de m’exprimer oralement puisque je n’étais vraiment pas à l’aise dans ces domaines. Je me sentais d’ailleurs déjà beaucoup plus dans mon élément derrière la caméra, à observer les gens et à être un témoin.
Naturellement, je me suis orientée vers la photo, mais les écoles auxquelles j’ai postulé à l’époque demandaient d’avoir un bon dossier en mathématiques… Et c’est comme ça que je me suis retrouvée en vidéo à l’Université Paris 8. C’était une licence sympa où j’ai pu faire de nombreuses rencontres. Le seul – et plutôt gros – hic, c’est qu’il y avait 500 élèves pour une seule caméra, donc l’enseignement était bien plus théorique que pratique.»
Alors, comment t’y es-tu prise pour démarrer ta carrière, avec si peu d’expérience pratique?
«À la fin de ma licence, je suis partie directement sur le terrain pour gagner en pratique, et pas sur n’importe quel terrain… J’ai décidé de partir en Amérique du Sud. J’avais oublié quelques petits détails:
- petit 1, je n’avais décidément aucune expérience
- et petit 2, je ne parlais presque pas un mot d’espagnol… et j’étais toujours dyslexique (rires)
- Ah, et petit 3, le départ a été super catastrophique… Le jour J, j’ai emmené avec moi à l’aéroport mon ancien passeport expiré au lieu du bon, et je n’avais pas pensé au fait qu’il me fallait un visa! Finalement, j’ai réussi à partir, mais pas sans sueurs froides…
Arrivée en Argentine avec ma copine Sandrine, preneuse de son, on a formé une équipe féminine de tournage et on est allé se présenter dans les boites de prod locales On était pleines de bonne volonté mais, quelque peu après le début de notre aventure, Sandrine a appris qu’elle était enceinte! Elle est quand même restée deux mois pour me soutenir et m’aider à trouver du travail. On a même continué notre périple jusqu’au Chili, puisqu’à l’époque la vie s’avérait être chère en Argentine.
Quelque temps après, on a enfin décroché une première expérience dans une entreprise de production où notre équipe féminine intéressait particulièrement au niveau marketing. Bon, je n’avais toujours pas d’expérience et quand on m’a dit “prends la caméra et montre nous ce que tu sais faire”, ils ont bien vu que je n’y connaissais rien, mais ils m’ont quand même mis à l’essai sur un tournoi de tennis, 2 semaines plus tard. J’avais donc 2 semaines pour apprendre à me servir de mon matériel et à l’époque, on n’avait pas Internet, donc j’ai demandé a mon père de m’envoyer le gros manuel de ma caméra par FedEx… toute une aventure (rires).»
Comment s’est déroulée cette première expérience professionnelle?
«Mon boulot pendant ce tournoi, c’était de suivre le joueur de tennis chilien Marcelo Ríos, aussi surnommé El Chino Ríos, un homme entre autres connu pour son très mauvais caractère. Je le suivais partout où il allait et bien évidemment, personne n’avait pensé à lui dire qui j’étais et ce que je faisais là. Il n’avait donc pas bien compris pourquoi cette jeune femme épiait tous ses faits et gestes (rires). J’ai heureusement survécu à ces 4 jours de tournage et, même si j’avais encore beaucoup à apprendre, je me suis à nouveau fait embauché par la même boîte de production pour couvrir la saison de ski, surtout parce qu’aucun filmeur chilien ne savait skier en tenant une caméra – beaucoup venant de milieux modestes et le ski étant, pour parler franchement, un sport de privilégiés. Moi, du coup, je ne savais pas filmer mais je savais skier (rires).
Le producteur a d’ailleurs aussi fait appel à moi pour couvrir une compétition de ski nautique, qui s’est un peu moins bien passée… Imaginez Gwen, sur une plateforme en plein milieu d’un lac en train de chercher comment régler la caméra et hop, gros plouf, l’objectif qui tombe à l’eau. J’ai repêché l’objectif, suis retournée sur la berge et là, pour le coup, c’était la fin de ma carrière avec lui… à part pour la saison de ski, puisqu’il n’avait pas d’autre choix (rires).»
Sacré début de carrière! Si tu devais donner un conseil à la “Gwendoline de 20 ans”, tu lui dirais quoi?
«Je lui dirais: n’hésite pas à te lancer, tu n’as rien à perdre, il faut savoir prendre des risques. Il ne faut pas avoir peur de perdre ce que tu connais, il faut développer ta confiance en toi.
L’autre conseil, c’est de ne pas hésiter à poser des questions, il est beaucoup plus facile quand on est jeune de le faire sans être jugé. Quand on grandit, les autres attendent que tu sois déjà expérimenté. En tant que femme, en tout cas dans mon milieu, c’est plus facile de poser des questions que si j’étais un homme. C’est plus facile de demander de l’aide.
Il n’y a pas beaucoup de caméraman femmes aux États-Unis mais il y en a de plus en plus (particulièrement en France). Les choses commencent à évoluer et ça me fait plaisir de me dire que j’y suis peut-être un petit peu pour quelque chose. Effectivement, je suis une pionnière dans mon milieu. A l’époque en France, je n’avais pas de relations, donc pas d’opportunités de travail mais paradoxalement au Chili, en tant que femme c’est ce qui m’a donné ma chance! Je me souviens qu’au premier entretien mon producteur était content d’avoir son équipe de femmes.»
Te définir en 3 mots?
«Observatrice, téméraire (mais pas courageuse) et intuitive. Je suis souvent mon intuition et je prends des décisions sur un coup de tête.»
Qu’est ce qui t’inspire?
«Les voyages, parce que c’est une des meilleures façons d’apprendre sur soi-même, en observant les autres.»
Commentaires récents